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LE MILITANT, LA FRANCE ET L'AFRIQUE

Guy Labertit a été un observateur privilégié des transformations récentes de la politique africaine de la France. Formé au militantisme dans la gauche tiers-mondiste de l’après-1968, il a suivi la montée de la gauche au pouvoir. Rallié au Parti socialiste en 1991, il en a été le Délégué national à l’Afrique de 1993 à 2006. Témoin de la fin de la présidence Mitterrand puis de la présidence Chirac, il expose ici sa vision des tentatives de réforme initiées depuis Matignon par Lionel Jospin. Guy Labertit a aussi été un témoin engagé : ami personnel du président ivoirien Laurent Gbagbo, il a suivi de près le conflit ivoirien et sa dimension franco-ivoirienne. Il a démissionné de ses fonctions en octobre 2006. L’entretien dont des extraits sont présentés ci-dessous a été réalisé en mars 2007 par Roland Marchal ; Sylvie Causse-Fowler en a assuré la

transcription.

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Roland Marchal : Je voudrais d’abord qu’on parle de votre trajectoire militante.

Comment la question de l’Afrique a-t-elle fait partie de vos différentes périodes

d’engagement ?


Guy Labertit : Mes premières solidarités, amitiés et contacts avec les Africaines et les Africains, c’était en 1968-1969. Je suis rentré dans la vie syndicale et politique en 1968. J’ai 19 ans à l’époque et je suis à Bordeaux – le lieu n’est pas anodin. Je suis militant à l’Unef [Union nationale des étudiants de France, syndicat étudiant de gauche] et je suis chargé des relations avec les organisations internationales. Je noue des contacts avec la Fédération des étudiants d’Afrique noire et il y a de très nombreux militants africains à Bordeaux de par leur rapport structurel avec les universités françaises. Je suis en contact avec une génération très bouillonnante, encore très pleine du rôle historique qu’ils ont joué dans les années cinquante, et qui maintient des mots d’ordre forts, disant que les indépendances africaines étaient des indépendances formelles, qu’il s’agit de conquérir les vraies indépendances.


Politique africaine n° 105 - mars 2007

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Je suis donc militant syndical, associatif, je participe à différents comités de soutiens. J’ai participé à la première manifestation en 1970 contre l’intervention française au Tchad, qui avait débuté en 1968. C’est ce que j’appelle ma période « comités », en direction de différents pays d’Afrique mais aussi des DOM-TOM.

Ensuite, j’ai des contacts au Cedetim [Centre d’étude du tiers monde, une association anti-impérialiste], et cela va se concrétiser à travers une revue, Libération Afrique. C’est une période qui s’étend entre fin 1978-1986. On continue sur le même mode dénonciatoire de la Françafrique – le mot n’était pas encore aussi popularisé à l’époque. 1981. Les socialistes arrivent. Je me souviens avoir écrit des éditoriaux qui n’étaient pas tendres pour Jean-Pierre Cot [ministre de la Coopération nommé par François Mitterrand en 1981]. Il faut dire que peu de gens trouvaient grâce à nos yeux. J’ai été plus prudent ensuite en signant un éditorial intitulé «L’aventure ambiguë ». C’est peut-être le début d’un parcours.


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Dans cette période, le débat sur l’Afrique est inexistant dans les partis politiques

de gauche. L’Unef n’existe plus au niveau des étudiants, les grands syndicats ont

d’autres problèmes, et au niveau des grands partis ?

Au PS, il y avait une vraie réflexion sur l’Afrique. C’est d’ailleurs Lionel Jospin qui animait la commission Tiers-monde et cette commission était très radicale, en particulier pour l’Afrique : la fin des bases françaises, un vrai code éthique pour les multinationales françaises, etc. Mais après 1981, lorsqu’on va passer à l’exercice pratique, on n’est pas dans la continuité. Jean-Pierre Cot a vite été évincé : il a tenu 18 mois seulement, car il représentait une alternative qui

était insupportable pour les potentats d’Afrique. Là où il y a eu rupture, c’est par rapport à l’Afrique du Sud et l’Afrique australe. On a eu une droite française très pro-apartheid, que ce soit de Gaulle ou Giscard, et il y a eu une vraie rupture avec Mitterrand.

Dans ce Parti socialiste, il y a surtout des experts, des universitaires, comme Jean-Pierre Raison, Jean-Louis Triaud, qui sont des analystes de talent. Mais combien pèsent-ils face à Guy Penne [conseiller aux affaires africaines du président Mitterrand de 1981 à 1986], qui est très peu introduit sur les questions africaines ? Il a été choisi plutôt pour son appartenance à la Convention des Institutions Républicaines – et à la franc-maçonnerie, parce que le rapport entre la France et les États africains sont très marqués par cette dimension, c’était une réalité historique depuis l’École de la France d’Outre-mer. L’approche est très transversale : à droite ou à gauche, on pense toujours « intérêts français ».


LE DOSSIER

156 France-Afrique. Sortir du pacte colonial


C’est à cette époque, en 1982, que j’ai croisé Laurent Gbagbo, dans un débat sur la littérature africaine. À l’époque, il est connu pour son activité syndicale dans son pays, et il vient d’arriver en exil en France. Il affiche une grande ambition pour son pays dès cette époque et il veut un statut de réfugié politique en France. Ça gêne beaucoup Mitterrand et la nomenklatura, qui lui proposent de prendre la nationalité française. Il refuse : « Je suis en France en exil, je veux faire la démonstration que mon pays n’est pas un pays démocratique, cet espèce d’eldorado sous l’autorité du grand sage ». On lui refuse son statut de réfugié. Les gens pensent que présenter la Côte d’Ivoire comme une dictature, c’est un peu excessif. Le manque de solidarité du PS était visible. Les rares contrats qu’il pouvait obtenir avec l’ACCT sont brisés, sur intervention du gouvernement ivoirien… Il a finalement logé chez moi cinq ans et demi. On parlait quotidiennement et c’est peut-être ces discussions qui m’ont conduit à adhérer à un parti – pas au PS, car mes convictions étaient plus radicales : j’adhère au PSU [Parti socialiste unifié], en 1984, parce qu’Huguette Bouchardeau, la dirigeante du parti, est ministre, donc ça me sort un peu de cette période « comités » et je commence à rentrer dans la politique. Comme il n’y a personne au PSU, je monte très vite. Je suis pointu sur le continent africain jusqu’en 1986. Puis j’arrête le journal Libération Afrique et je deviens plus généraliste, mais je garde mes réseaux de solidarités, d’amitiés militantes.

En 1990, le PSU a fermé. Mon idée, c’est plutôt d’aller vers les Verts, mais au plan international, les Verts, ce n’était pas un bon canal. J’avais tout de même des contacts avec le PS et son secrétariat national, essentiellement sur la question ivoirienne. En 1990, à son retour en Côte d’Ivoire, Gbagbo se présente [aux élections] et il fait 18,9 %, ce qui étonne beaucoup au PS, qui s’intéresse plus souvent au Parti ivoirien des travailleurs [un petit parti socialiste ivoirien] qu’au FPI [Front patriotique ivoirien, parti de Laurent Gbagbo]. À l’époque, Jean-Louis Triaud, qui était alors le rapporteur spécial pour l’Afrique du PS, me téléphonait régulièrement, pour me dire de venir. J’ai décidé de franchir le pas en avril 1991. J’entre tout de suite dans le secrétariat international dirigé par Pierre Guidoni et mon sort est de travailler sur l’Afrique, en particulier sur la Côte d’Ivoire et la Guinée Conakry. Gérard Fuchs succède à Guidoni en juillet 1991, et je suis plus écouté, ce qui me vaut de devenir rapporteur spécial à la place de Jean-Louis Triaud qui s’en va pour raisons professionnelles. Je travaille sur divers sujets, dont l’Afrique subsaharienne. Je suis confirmé en 1993. Je suis resté Délégué national à l’Afrique jusqu’en octobre 2006.



© Karthala | www.cairn.info



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