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4 février 2021 à 12:46:20

TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN | 8 DÉCEMBRE 1990 | Par GUY LABERTIT

TCHAD: LENDEMAINS INCERTAINS.

Ydriss Déby s'est proclamé chef de l'Etat tchadien le 4 décembre, quarante-huit heures à peine après son entrée triomphale à N'Djamena. Et déjà des signes de rébellion contre Je nouveau régime apparaissent. Mais au fait, à quoi joue la France dans cet imbroglio militaro-politique ?

TCHAD:  LENDEMAINS INCERTAINS.

      La preuve est faite que le dispositif militaire français Epervier a permis à la dictature Habré, instaurée en juin 1982, de se perpétuer. Le samedi I" décembre, nos ministres plus faussement gribouilles l'un (JeanPierre Chevènement à la Défense) que l'autre (Jacques Pelletier à la Coopération)

- juraient de la neutralité de la France quand elle avait depuis, sans doute, quelques mois choisi de jouer l'ex-chef de guerre ldriss Déby contre le maître du pays, piteusement défait sur le terrain huit jours plus tôt.


      Avant de fuir la capitale N'Djamena, Hissène Habré, en qui la France officielle trouva tant de vertus, a fait elécuter les derniers prisonniers des sous-sols de la Présidence, pour la plupart arrêtés

en 1986-1987 lors de la répression contre la communauté hadjaraï. Heureux détenus de la gendarmerie, du siège de la police politique, du commissariat central ou du. Camp des Martyrs qui, ce samedi, ont renoué avec la vie quand les fosses de certains étaient déjà creusées. Huit ans d'exactions pendant lesquels Paris a prêté une envergure . d'homme d'Etat ayant scellé la réconciliation nationale à celui qui, derrière un discours nationaliste anti-libyen, a usè de l'Etat comme un impitoyable chef de clan.


      Cette façon d'exercer le pouvoir ne cadrait plus avec le nouveau discours élyséen, vivement contesté au dernier sommet franco-africain de La Baule par Hisséne Habré, très pugnace dans la  dénonciation d'un modèle démocratique imposé par l'Occident. L'immobilisme d'Epervier à Ebéché pendant les combats décisifs de l'Est ; le contrôle de la capitale par des militaires tchadiens dans les zones névralgiques de N'Djamena dés le départ d'Habré ; l'épisode du président « très intérimaire»,  Jean Alingué, lançant son appel depuis l'ambassade de France ; le renforcement d'Epervier alors que la plupart des ressortissants français étaient déjà évacués ou sur le point de l'être, tout cela

pourrait laisser supposer que Paris entendait maitriser la période transitoire suivant la chute du dictateur. 


       Se fonder sur la légitimité constitutionnelle en propulsant au devant de la scène le président de l'Assemblée nationale Jean Alingué, cantonner l'ancien chef de guerre Idriss Déby, militairement

soutenu par la Libye, à tin rôle d'honorable comparse adulé par un «comité d'accueil», c'était effacer huit ans de complaisance à l'égard d'une dictature. C'était aussi affirmer le nouveau cours d'une politique africaine dont les relents coloniaux embarrassaient à gauche ...


      En décidant de suspendre la Constitution et de dissoudre l'Assemblée, en se faisant proclamer chef d'Etat et de gouvernement sur la base du programme de son Mouvement patriotique du salut (MPS), ldriss Déby a mis un terme à ce scénario. Les pemières déclarations d'intention sur la garantie des libertés, les premières décisions (suppression de la police politique et de l'impôt de guerre) suffisent-elles à faire croire que la machine de guerre du MPS se soit muée en une force politique démocratique ?


      Sur place, l'opposition intérieure à Habré s'est cristallisée dans les derniers mois du régime autour des réseaux de l'Union des forces démocratiques (UFD) et de la «jorantes » (anagrame du sigle de l'organisation des jeunes éléments de l'armée nationale pour le salut du Tchad). Cette opposition, dont quelques responsables ont été libérés dès le départ d'Habré, sera-t-elle réellement associée au processus démocratique annoncé mais dont les échéances ne sont pas précisées, ou le MPS

conservera-t-il à son tour l'essentiel du pouvoir?


      L'opposition en exil, dont la réalité n'est pas toujours évidente sur le terrain, entend profiter de la nouvelle donne politique pour sortir de la marginalité dans laquelle l'ont plongé des querelles de leadership ( entre Goukouni Weddeye et Adoum Togoï notamment). Jouera-t-elle sincérement la carte politique mais l'éternel chantage à l'action militaire ? Elle dispose, en effet, de camps de combattants pour la plupart stationnés en territoire libyen. Enfin, subsiste l'incertitude sur les projets de Hissène Habré et de ses derniers partisans repliés.

      

      La France qui maintient Epervier tout en l'allégeant de nouveau ; la Libye qui vient de rapatrier ses prisonniers du Tchad et voit s'installer à N'Djamena un MPS qui ne lui est pas hostile continueront de peser sur l'avenir de ce pays. Mais cette rivalité, parfois complice, n'est pas faite pour faciliter la recherche d'une solution démocratique tchadienne. 


Guy LABERTIT

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