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2 février 2021 à 12:03:20

TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN | 1 septembre 1990 | Par GUY LABERTIT

LA DIPLOMATIE DU CHAMPS - SOUS LA TUTELLE DE FRANCE

De Jacques Foccart à Jean Christophe Mitterrand la politique de la Franc: à l'égard de l'Afrique est restée l'exclusivité de 'Elysée. Jusqu'aux récentes révoltes qu'ont secoue nombre de capitales africaines le statu qu' a prévalu, au grand benefice des entreprises françaises et des potentats locaux.

LA DIPLOMATIE DU CHAMPS - SOUS LA TUTELLE DE FRANCE

      Une zone monétaire, la zone franc, une forte présence militaire, des accords diplomade

coopération, couvrant tous les espiondomaines, signés avec les Etats africains dès la proclamad'option des indépendances: ainsi peut se Mourésumer l'héritage de l'empire sur lequel se fonde la politique de la France en Afrique tout au long de la 5 (1) • République, quelles qu'en soient les nuances. La volonté gaullienne de voir, en particulier grâce à l'Afrique, la France compter au rang des puissances mondiales s'est matinée du mercantilisme d'un Pompidou et d'un Giscard assumant intégras lion européenne et réalignement atlanliste. Aujourd'hui, François Mitterrand, fidéle à la tradition désuète des « sommets franco-africains» née en 1973, associe le "principe universel» de démocratie à l'avenir de l'Afrique, contraint de prendre- en compte les aspirations à plus de liberté exprimées sur un continent que la France a contribué à maintenir dans l'immobilisme politique.


      Après l'échec de la Communauté rançaise de 1958, les premiers accords de coopération limitent la souveraineté des nouveaux Etats africains, contraignant leur diplomatie ou dictant l'usage qui doit être fait de leurs ressources énergétiques et stratégiques notamment. Si l'on associe officiellement coopéralion et générosité, suscitant les aigreurs cartiéristes, la volonté de garder sous la tutelle de la France les jeunes Etats d'Afrique est manifeste dans le contenu des accords. Même s'ils ont été révisés dans les années 1970, l'interventionnisme politique et militaire reste une constante de la politique africaine de la France (voir encadré), . exclusivement gérée par l'Elysée. 


      Gaulliste, ancien du Bureau central du renseignement et d'action (BCRA) pendant la Seconde Guerre mondiale et  faisant dans l'import-export, Jacques Foccart, sera, de 1958 à 197 4, conseilIer aux affaires africaines et malgaches à l'Elysée: Jacques Chirac, que sa versatilité rend sensible aux symboles de famille, le-rappellera à Matignon en 1986, le temps de la cohabitation. Jacques Foccart, qui est aussi le« pére spirituel » ( 1) du Service d'action civique (SAC), organise, à partir d'hommes d'affaires, de commerçants mais aussi de diplomates, des réseaux à la fois concurrents et complices du SDECE (contre-espionnage français, aujourd'hui DGSE) qui quadrillent l'Afrique. Elimination d'option posants (du Camerounais Félix· Moumié en 1960 au Tchadien Outel Bono en 1974), coups d'Etat en tout genre marquent l'ère du système Foccart dont le Gabon sera la fine fleur (2).  Après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, René Journiac, un de ses adjoints, prend la succession de Jacques Foccart à l'Elysée. Il disparait le 6 fevrier 1980 dans le nord du Cameroun, à bord de l'avion personnel du président gabonais Omar Bongo sans que ne soient vraiment établies les causes de l'accident... Martin Kirsch assure la transition jusqu'en 1981. A l'arrivée de François Mitterrand, la cellule africaine de l'Elysée est maintenue et dirigée jusqu'en 1986 par Guy Penne dont la franc-maçonnerie semble être, au départ, un des rares atouts face aux réseaux en place qui lui mijotent aussitôt un coup d'Etat réussi en Centrafrique et, quelques mois plus tard, en octobre, un faux coup d'Etat au Tchad. 


      Très vite, Guy Penne, appuyé par François de Grossouvre, lui aussi franc-maçon (3), s'accommode mieux de l'arbitraire des autocrates ( Bongo, Houphouë!, Eyadéma, Mobutu ... ) que de la volonté de rénovation affirmée par le nouveau ministre de la Coopération, Jean-Pierre Cot. Le conflit, latent, sera permanent jusqu'à la démission de Jean-Pierre Cot en décembre 1982. Etabli depuis le 3 août 1982 au 2, rue de l'Elysée comme documentaliste de Guy Penne, Jean-Christophe Mitterrand,

fils du président, monte en grade en secondant brièvement Jean Audibert entre 1986 et 1988, avant d'animer lui-même la cellule africaine de l'Elysée. Aprés la cohabitation, une note familiale

s'ajoute à ce domaine politique déjà très réservé. 


Une diplomatie musclée


Des barbouzes de Foccart aux filières très personnelles du fils du président (4) &e perpétue ainsi un usage détestable qui veut que l'Afrique soit le «champ» (5) d'une diplomatie musclée, assimilant,

jusqu'à l'explosion de 1990, toute velléité démocratique interne aux Etats africains à une insupportable entreprise de subversion. Dépenses somptuaires à l'image du sacre de Bokassa I"' et multiplication "d'êlêphants blancs» (projets grandioses sans intérêt pour le développement

des pays concernés): une même complaisance a souvent été de règle en matière de politique économique. Très favorisées, les entreprises françaises, publiques et privées, réalisaient de

confortables marges bènéficaires, grâce au système de " l'aide liée » qui fait que tout concours financier public français implique le recours aux services d'entreprises françaises ...

      Si la gauche, prônant un développement autocentré, dénonçait, avant 1981, ce mercantilisme, très vite, le déficit du commerce extérieur fait de la promotion, à outrance, des exportations' l'objectif numéro un. Il n'en fallait pas tant pour légitimer les pratiques traditionnelles du secteur bancaire et des grandes sociétés privées de commerce (CFAO, SCOA, OPTORG), de bâtiments et de travaux publics (Bouygues, Dumez, SPIE-Batignoles, Fougerolle), de transport (Delmas-Vieljeux, lITA),

ou de sociétés nationalisées (Thomson CSF ... ).

      Dans ce cadre, la Caisse centrale de coopération économique (CCCE) est le principal instrument financier public de la France en Afrique : environ 8 milliards FF d'engagements en 1989 dont

le tiers en prêts d'ajustement structurel, maintenant à un bon niveau les exportations françaises en dépit de la profonde crise financière qui frappe les Etats africains. Entre 1986 et 1989, le solde du commerce extérieur de la France avec l'Afrique a toujours été excédentaire - de l 5 ,8 milliards à 22,9 milliards - quand son déficit global atteignait 60 à plus de l 00 milliards. Dans le même temps, le pillage des matières premières agricoles, minières et énergétiques s'est poursuivi. L'effort fourni par la France sur le gaz algérien et l'uranium du Niger dans le cadre d'expérience sans lendemain de codéveloppement fait partie des souvenirs. Par le biais de ces filiales, la société pétrolière Elf-Aquitaine demeure un état dans l'état là où elle intervient, au Gabon et au Congo en particulier.

      L'assistance technique civile et bien sûr militaire, prioritairement réservée au pré-carré francophone, a également un rôie important dans !e maintien de liens tutélaires entre la France et l'Afrique : machines el matériels français privilégiés quel que soit l'intérêt des projets. la zone franc facilitant les échanges ; emprise culturelle, même si la relance de la francophonie rend par·

fois « gênantes » les ardeurs canadiennes ; formation et encadrement des armées dont on sait le poids dans la vie politique de ce continent et, enfin, rôle discret, assez souvent déterminant, des

coopérants dans les ministères, voire dans les gardes et entourages présidentiels de nombreux chefs d'Etats. De près de 10 000 en 1960, le nombre de coopérants a atteint 13 000 (dont 2/3 d'enseignants) en 1980, pour retomber aujourd'hui à 7 500. La réduction des effectifs est liée à l'asphyxie financière de certains pays qui prennent en charge l'essentiel des salaires (Côte-d'Ivoire, Sénégal, Gabon) et au rôle inadapté de ces coopérants (pratiquement pas de formation de formateurs) qui occupent souvent la place de cadres africains.


Des hymnes nouveaux


      Au terme de ces trois dernières décenniesle bilan de la politique africaine de la France ne peut que conduire à sa révision. Paris a, tout à la fois, contribué à maintenir un espace d'arbitraire et de

non droit et à marginaliser l'Afrique, aux plans économique et commercial, au nom de la défense d'intérêts matériels à courte vue imposée par la direction du Trésor français. Au-delà du discours neuf sur la nécessaire démocratisation et des mesures de réduction de la dette publique africaine, la vision gaullienne de l'Afrique n'a pas totalement disparu et les symboles politiquesndemeurent : force militaire, zone franc, sommets franco-africains, francophonie

...

      La remise en cause prudente, dans le rapport Hesse), des structures étatiques sur lesquelles se fondent cette politique n'a pas été vraiment du goût de l'Elysée. Par ailleurs, même si elle entend impliquer davantage la société civile, au travers, notamment, des organisations non gouvernementales, et surveiller avec rigueur l'usage des fonds engagés, la France inscrit son action dans le cadre de la politique de la Banque mondiale et du FMI qui a précisément abouti à multiplier les révoltes populaires. Ceux qui en appellent au retrait, en s'effrayant des premiers soubresauts dans les rues des villes africaines, feignent d'ignorer que la « stabilité » de ces trois décennies

de plomb a conduit, globalement, à l'impasse, même si elles ont été, avec la complicité intéressée de l'Etat français et de certains milieux d'affaires, l'âge d'or des classes ·dirigeantes de l'Afrique

aujourd'hui rejetées.

      Les profonds changements en germe en Afrique sont porteurs d'espoir - dont personne ne peut affirmer s'ils seront déçus. Mais ils appellent une politique nouvelle, de dimension européenne, qui ne repose plus sur des fantasmes hexagonaux fleurant toujours bon la colonie. Des réformes de structures mettant un terme à la diplomatie obsoléte du « champ/hors champ » et au mode de gestion confidentiel des rapports avec l'Afrique, une reconsidération de la présence militaire - symbole le plus criant de la tutelle - une nouvelle définition de la nature, du rôle et des moyens de l'assistance technique donneraient un peu de crédit aux hymnes nouveaux à la démocratisation de l'Afrique.


                                                                                                                                                                                 Guy LABERITT

                       _______________

      ( /) Voir Services secrets de Jean Guisnel et Bernard Violet, éd. La Dècouvene, 1988.

      (2) Voir Affaires africaines de Pierre Pèan, éd. Fayard, 1983. Maurice Robert, ancien colonel du SDECE, contraint de dèmissionner fin 197 J, entre à Elf le 1., - janvier /974 où il est chargè des relations avec l'Afrique al'llnt d'être nommé ambassadeur de France au Gabon en 19 79, suite aux

tenaces pressions du président gabonais. Tout un symbole ! Du même auteur L'argent noir

      (J) François Durand de Grossouvre, lui aussi ancien du BCRA, est un ami et homme de confiance de F. Mitterrand. Fus de banquier et homme d'affaires actif dans le tiers monde, il est appelé à l'Elysée pour s'occuper des services du secteur Afrique et des pays arabes.

      (4) Voir l'enquête d'Antoine Glaser et Stephen Smith dans Libération du vendredi 6 juillet 1990.

      (5) Les pays K du champ» relèvent du ministère de la Coopèration et les pays

• hors champ » du Qulli d'Orsay.


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