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8 février 2021 à 12:04:53
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN | DU 11 AU 17 SEPTEMBRE 1989 | Par GUY LABERTIT
L'ACCORD ENTRE LE TCHAD ET LA LIBYE QUELQUES OMBRES AUTOUR DE LA BANDE
L'accord d'Alger ouvre des perspectives encourageantes pour Je règlement du litige frontalier entre le Tchad et la Libye. Mais la question de la bande d'Aozou n'est qu'une conséquence d'un conflit
interne au Tchad; toujours sans solution aujourd'hui.
La signature, le 31 août, à Alger, d'un accord-cadre pour le règlement du diffërend territorial tchado-libyen aura sans doute surpris ceux qui avaient hâtivement conclu à l'échec de la rencontre entre le président tchadien Hissène Habré et le colonel Kadhafi, à Bamaco, le 21 juillet dernier.
Pourtant, la conclusion de cet accord entre les deux pays voisins s'inscrit dans une logique de normalisation de leurs rapports. En effet, les deux chefs d'Etat s'étaient engagés à respecter le cessez-le-feu établi en septembre 1987 aprés la déroute de détachements de l'armée libyenne dans le nord du Tchad. Depuis mai 1988, Tripoli ne contestait plus officiellement la légitimité du président tchadien et de son gouvernement, et \es relations diplomatiques entre les deux Etats avaient été rétablies le 3 octobre 1988.
Un succès diplomatique appréciable
Partie intégrante du territoire du Tchad à la proclamation de l'indépendance de cet Etat en 1960, la bande d'Aoiou ( 114 000 km2 à l'extrêmenord du Tchad), qui est l'objet du litige, a été occupée militairement et revendiquée par la Libye à partir de 197 3. Une guerre civile engendréè par lès éxactions du dictateur Tombàlbayê ·déchirait alors le Tchad depuis 1966.
La Libye, tout en dénonçant les interventions militaires de la France qui soutenait Tombalbaye puis ses successeurs et en appuyant l'opposition armée tchadienne du Frolinat, n'avait pas caché
depuis les années 70 ses propres visées expansionistes. Elle considérait que le nord du Tchad (BET, Borkou- Ennedi-libesti) était le prolongement naturel de son territoire.
Aujourd'hui, l'engagement par les deux parties à régler la question par des moyens politiques dans un délai d'un an au terme duquel elles s'en remettront au jugement de la cour internationale de
justice est un succès diplomatique appréciable dont l'Algérie, maitre d'oeuvre du rapprochement, peut se prévaloir. Par l'accord d'Alger, le colonel Kadhafi admet ce qu'il jugeait non négociable il
y a peu (la bande d'Aozou était pour lui « une part indivisible de la terre arabe libyenne») et le chef d'Etat tchadien reconnaît implicitement que les frontières héritées de la décolonisation peuvent
être remises en cause par un jugement de la Cour internationale de justice.
Les difficultés de Habré et Kadhafi
Cependant, l'habileté du montage diplomatique algérien n'explique pas tout. L'engagement de la Libye au Tchad, les revers de 1987, avec la capture de quelques deux mille cinq cents soldats libyens toujours prisonniers de N'Djaména, ont suscité bien des remous au sein même de l'année du colonel
Kadhafi.
Ces germes de divisions internes s'ajoutent à l'isolement de celui qui se considère comme un opposant à l'échelle internationale. Les agressions caractérisées dont il a été victime au temps de Reagan (bombardements de Tripoli et de Benghazi en avril 1986) et plus récemment en janvier 1989 (destruction de Migs libyens) n'ont en général pas suscité de réactions significatives aussi bien dans le monde arabe que de la part de l'Union soviétique, chacun paraissant lassé des aventures libyennes au Tchad.
De son côté Hissène Habré qui, grâce à l'appui du dispositif militaire français Eperviermis en place en fëvrier 1986, a récupéré la plupart de ses positions dans le nord du pays, est confronté à une
situation politique intérieure délicate. Il exerce un pouvoir sans partage depuis juin 1982 et l'on a fait grand bruit des ralliements de nombreux opposants ces dernières années.
Le plus spectaculaire a sans doute été celui d'Acheikn Ibn Omar, signataire pour le Tchad de l'accord d'Alger. Celui qui disputait à Goukouni Weddeye la direction de l'opposition à Hissène Habré a choisi de regagner N'Djarnéna en novembre 1988, suivi par la moitié de ses partisans, après avoir négocié un accord avec les autorités tchadiennes, à Bagdad, en Irak. Il a été nommé ministre des Affaires étrangères en mars 1989, ce qui n'a pas manqué de mécontenter bien des proches d'Hissène Habré.
Ils ne comprenaient pas que cet ancien allié de Tripoli jouisse de pareilles faveurs alors qu'eux-mêmes, en dépit des services rendus, se considéraient soumis à l'arbitraire et aux coups de la
Sécurité présidentielle (une armée dans l'armée) et de l'omniprésente police politique (Direction de la documentation et de la sécurité).
L'arrestation du ministre de l'Intérieur Ibrahim ltno, en avril 1989, la fuite de deux chefs d'état-major d'Hissène Habré, Idriss Deby · et Hassan Djarnouss ( dont la mort a été officielement
reconnue) qui furent des hommes clés du régime sont les signes les plus récents d'une certaine désagrégation du pouvoir de N'Djarnéna. L'accord d 'Alger est donc aussi le fruit de la dégradation
des positions des dirigeants tchadien et libyen dans leur propre pays.
Des perspectives encourageantes ?
Si ce texte ouvre des perspectives encourageantes pour le règlement du conflit frontalier, il importe de souligner que la question d'Aozou a surgi dans l'histoire récente du continent africain
comme une des conséquences de la guerre civile au Tchad et que « l'imbroglio» ou le « guêpier » tchadiens ne sont pas des images d'un passé vraiment révolu.
L'ancien président Goukouni Weddeye, chassé du pouvoir par Hisséne Habré en juin 1982, n'a pas renoncé à toute ambition. A la fin juin, il a réuni à Alger - où il a toujours une résidence officielle - les représentants des forces qui lui sont restées fidèles.
Au plan militaire, l'opposition armée se recompose et se renforce à la suite de nouvelles défections au sein de l'armée tchadienne. Quelques centaines de combattants du CDR, qui n'ont pas
suivi Acheikh Ibn Omar, ont rejoint la Première Armée et le Mosanat (Mouvement de salut national du Tchad, constitué en 1987 par d'anciens partisans d'Hissène Habré) dans l'est du pays, aux confins du Soudan où se mènent des actions de guérilla sporadique.
C'est non loin de là qu'ldriss Deby a regroupé ses hommes qui collaborent avec les éléments CDR de Moctar Moussa. Il a bénéficié, après sa fuite, de l'appui du Soudan et de la Libye et s'est
rapproché de la coalition militaire menée par Adoum Togoi (le statége de Goukouni) et Rakhis Manani.
Si une alliance militaire se forge rapidement, l'alternative politique est plus lente à se dessiner car la personnalité de Goukouni est souvent contestée au sein même de l'opposition. Cependant, du 3
au 7 août, s'est tenue, à Tripoli, une réunion de concertation pour aboutir à l'élaboration d'une plateforme unitaire de l'opposition qui devrait tenir prochainement un congrès au cours duquel
les tendances actuelles se fondraient en une seule force politique.
Le dispositif Epervier
Dans ce contexte, on s'explique l'attachement d'Hissène Habré au maintien du dispositif militaire français Epervier qui reste son plus sûr paravant face à ses opposants armés. Le ministre français de la Défense, Jean-Pierre Chevènement, se montrait prudent en avançant la nécessité d'une concertation avec les autorités tchadiennes avant toute décision.
Mais on peut, dès lors, s'interroger sur le sens de l'engagement de Paris pour qui le conflit interne au Tchad était réglé depuis 1987, le problème tchadien se résurnwt à la solution du litige frontalier
de la bande d'Aozou. L' intervention française officiellemet justifiée depuis 1983 (date de l'opération Manta) par « l'agression libyenne » a de fait servi à pérénniser un régime dictatorial.
On peut aussi s'interroger sur la subtilité de l'action diplomatique algérienne et libyenne qui conduit à un accord en bonne et due forme entre les Etats de la Libye et du Tchad alors qu'Alger et
Tripoli laissent se réorganiser, sur leur territoire, l'opposition politique et militaire au pouvoir tchadien dont il faut convenir qu'il fait totalement fi des Droits de l'Homme.
Guy LABERTIT