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2 février 2021 à 18:47:39

TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN | 7 MARS 1992 | Par GUY LABERTIT

AFRIQUE : LA RESTAURATION DES AUTOCRATES

La conquête de la démocratie sur le continent africain s'avère plus difficile et plus complexe que ne le laissaient présager les premiers soubresauts populaires. Va-t-on assister au retour des décennies de plomb ?

AFRIQUE :  LA RESTAURATION DES AUTOCRATES

      Zaïre : sanglante répression d'une manifestation de chrétiens. faisant des dizaines de

morts: Côte-d'Ivoire: plus d'une centaine de démocrates, dont l'ancien candidat à

l'élection présidentielle, Laurent Gbagbo, brutalisés, emprisonnés et trainés devant la justice ; Tchad : multiplication d'assassinats politiques ; Niger: autorités d'Etat issues de la Conférence nationale bousculées par des militaires ; Togo et Congo : mêmes scénarios ... Les transitions à la démocratie ont connu. ces dernières semaines, ces derniers jours, des coups d'arrêt inquiétants en Afrique.


      La conquête des droits et libertés démocratiques sur le · continent africain se révèle plus difficile, plus complexe que ne le laissait supposer le déroulement des faits au Bénin, où s'était tenue, en fevrier 1990, la première conference nationale ; ou l'exemplaire alternance, par la voie des urnes, réalisée, au début de 1991, au Cap Vert et à Sao Tomé et Principe. Ces deux anciennes petites colonies du Portugal étaient régies par un parti unique jusqu'en 1990.


   En octobre dernier, en Zambie, par son triomphe électoral sur Kenneth Kaunda, à la tête de l'Etat depuis vingt-sept ans, le dirigeant syndicaliste Frederick Chiluba a rejoint les nouveaux présidents capverdien et santoméen Antonio Mascarenhas Monteiro et Miguel Trovoada dans la réussite de processus pacifiques d'ouverture politique qui restent l'exception.


      Sans doute, le poids spécifique des militaires dans la vie politique africaine a-t-il été sous-estimé. Dés la fin du mois d'août 1991, l'armée togolaise, appuyée par une intervention télévisée du président Eyadema, avait voulu signifier brutalement, aux délégués de la· Conférence nationale souveraine, les limites de leur rôle. Par de multiples tentatives de déstabilisation en octobre-novembre et par un véritable putsch en décembre. les militaires togolais sont en partie parvenus à leurs fins. Ils n'ont pu obtenir la dissolution du Haut conseil de la République et les formes démocratiques ont ainsi été sauvegardées, mais les postes gouvernementaux, essentiels dans l'organisation des futures élections et les relations avec les forces armées, sont aujourd'hui entre les mains de tenants de l'ancien régime, ce qui est une lourde hypothèque pour l'avenir.


      Le choix de la France d'éviter une intervention militaire directe au Togo peut difficilement être contesté au nom de l'interventionnisme passé de Paris dans son soutien à des régimes liberticides. Toutefois, cette oplion, plus conforme à la philosophie du discours de La Baule, à été perçue comme une tolérance à l'égard des partisans de l'ordre ancien. Cette alfaire a souligné la contradiction entre le maintien d'accords d'assistance technique et militaire et d'accords de défense, d'une pari,

et une orientation politique atfumée en 1990 par le président Mitterrand prônant la démocratisation.


      Ce décalage s'est aussi révélé à Djibouti et au Tchad. Il témoigne de l'urgence d'accorder institutions et volonté politique nouvelle dans les relations de l'Etat français avec l'Afrique.


      En effet, cette restauration de l'autorité militaire dans la vie politique s'est manifesté en janvier au Togo où, à défaut d · écarter le Premier ministre, André Milongo, élu par la tonference nationale, l'armée lui a imposé un remaniement ministériel. Au Niger, sur la base initiale de revendications économiques (arriérés de salaires), des militaires ont tenté d'imposer révocation ou réintègration d'officiers. Mais, à la dillërence du Congo, voire même du Togo, une forte pression politique et syndicale a encouragé les autorités à ne pas céder aux exigences des mutins.


      Ces tentatives de restauration ou de maintien de l'ordre ancien revêtent des formes diflërentes, Les plus brutales sont celles du Tchad et du Zaïre où l'organisation des grands débats nationaux est sans cesse entravée, tandis qu'insécurité, complots et répression sont érigés en méthode de gouvernement Ces méthodes ont fait des centaines de victimes ces derniers mois, dont le viceprésident de la Ligue tchadienne des droits de l'homme, M' Bèhidi. A Kinshasa, des marches  pour la paix et l'espoir d"organisées par des chrétiens le 16 fevrier à la sortie des églises, ont été violemment réprimées (32 morts) par les troupes d'élite de la Division spéciale présidentielle du maréchal Mobutu.


     Tirant leçon de l'expérience de leurs collègues , neutralisés certains chefs d'Etat militaires ont eu recours à des processus électoraux précipités (Mauritanie) ou boycottés par l'ensemble de l'opposition (BurkinaFaso). Ces élections, à défaut de les légitimer, les ont, en quelque sorte, légalisés  aux yeux de la communauté internationale.


      Parmi les civils. à la rliflërence du président gabonais Bongo, reconduit après avoir contrôlé, dès 1990,  sa  Conference nationale, le chef d'Etat camerounais Paul Biya sort alfaibli des récentes élections législatives. L'ancien parti unique (RDPC) semble obtenir une courte avance à l'issue du scrutin du I" mars, pourtant boycotté par une bonne partie de l'opposition.


PROCÈS POLITIQUES


En Côte-d'Ivoire, l'aile dure de l'armée el de l'ancien parti unique ( PDCI) est à l'offensive ( • TC • du 29/02/92). Comme au Zaïre, l'Eglise, par la voix de l'archevêque d'Abidjan, le cardinal Yago, a dénoncé les violations des dtoits de l'homme, suite à la manifestation du 18 lévrier, qui a entrainé la répression de l'opposition démocratique ivoirienne el des procès politiques en série. Contre toute raison, et bien que le chef de file de l'opposition. Laurent Gbagbo, ait rappelé, lors de son procès, l'attachement du Front populaire Ivoirien (FPI) à la voie électorale et son choix délibéré d'une transition pacifique à la démocratie, les autorités du pays, imprégnées d'une culture"de parti unique, s'entêtent à imaginer complots et machinations comme pendant les années 60. 

 

     Bien que ce mauvais courant d'air rappelle les décennies de plomb, le continent africain bouge. Mais le nouveau a bien du mal à naitre. A cela, plusieurs raisons. Attachés aux privilèges du pouvoir, les annêes nationales et anciens partis uniques, se résolvant à accepter quelques formes de l'expression démocratique sous la pression des bailleurs de fonds, entendent souvent, tout au plus, réexaminer la liste des prétendants à ces priviléges. De la rue aux enceintes des conferences nationales, des jeunes chômeurs ou des scolarisés des villes aux cadres mal ou non payés, les acteurs du changement ont des intèrêts, des objectifs si diflërents, si contradictoires, qu'on peut préjuger des évolutions sensibles dans les alliances sociales et politiques à venir.

      

      La capacite de corruption des pouvoirs établis, «a manipulation des consciences». comme l'on dit au Togo, dont peuvent être l'objet aussi bien les cadres, les laissés pour compte des villes ou les paysans fragilisés par l'insécurité alimentaire est un obstacle important à l'établissement de la démocratie.


      A de rares exceptions prés, dont la Côte-d'Ivoire, le monde rural, encore majoritaire dans la plupart des pays, malgré une urbanisation accélérée, n · a pas été partie prenante du débat démocratique comme le montre l'abstention plus forte dans les campagnes lors des consultations électorales actuelles. Les blocages à toute ouverture comme on l'a vu au Cameroun, au Togo, au Tchad, ou en Guinée par exemple, ont vivifié l'expression de particularismes ethniques dans la perspective de conquérir ou de conserver le pouvoir d'Etat. Cela a entraîné de dramatiques connits au Libéria et en Somalie.


      La gravité de la crise économique est telle que l'exercice de la démocratie ne résoudra pas le passif dont héritent ou vont hériter les forces du changement à l'image du Bénin. Le pluralisme politique ne valide pas pour autant les solutions imposées, depuis les années 80, aux pays d'Afrique par le FMI et la Banque mondiale, et auxquelles se sont ralliées, ces dernières années, l'Europe communautaire et la France dans leur politique de coopération.


      Ces solutions renvoient chaque pays dans une logique étatique alors que l'intégration régionale des économies des ditferents pays apparait comme une impérieuse nécessité pour répondre aux défis démocratiques et sortir le continent africain de sa marginalité ( voir encadré).



                                                                                                                                              Guy LABERTIT

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