top of page

Article

2 février 2021 à 16:53:14

TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN | 7 JUILLET 1990 | Par GUY LABERTIT

1960 L'INDEPENDANCE

UNE SÉRIE COORDONNÉE PAR GUY LABERTIT ET SIAVOSH GHAZI
li y a trente ans, les pays de l'ancienne Afrique subsaharienne française accédaient à l'indépendance. Comment en émit-on arrivé là?

1960 L'INDEPENDANCE

      De la confërence de Brazzaville, considérée à tort comme une remise en cause de l'empire, aux indépendances de 1960 souvent dites « octroyées », l'histoire de la décolonisation de l'Afrique subsaharienne founnille de clichés. Des pans entiers de cette histoire sont effacés d'une mémoire

collective bercée par le confort de généreuses images d'Epinal. 

      Epaisse amnésie collective ... En fait, dès 19 39- 1940, quelque 80 000 Africains, les fameux «tirailleurs sénégalais», recrutés en réalité dans l'ensemble subsaharien du continent (AOF, AEF et Madagascar), participent en Europe aux combats contre les forces de l'Axe (Allemagne et Italie). La dèfaite militaire de juin 1940 et la capitulation du maréchal Pétain détruisent le mythe du colonisateur invincible. En Afrique, les coloniaux se rangent pour la plupart du côté de Vichy, l'appel du 18 juin ne recueillant que peu d'échos (voir encadré sur de Gaulle et l'Afrique).


De la Conférence de Brazzaville au Congrès du RDA


      En cette année 1944 où l'effort de guerre s'accentue en Afrique et à Madagascar, le Comité français de libération nationale (CFLN), constitué le 3 juin 1943 à Alger et présidé par le général

de Gaulle, soucieux de refaire l'unité de l'empire, fragilisé de plus par les intrigues nord-américaines, convoque la Conference africaine française de Brazzaville ( 30 janvier - 8 fevrier) où aucun Africain n'est présent. Certaines mesures sociales sont envisagées ( abolition de l'indigénat et suppression

du travail forcé dans un délai de cinq ans) et s'il est admis que les colonies doivent être représentées dans la future assemblée constituante, l'idéologie colonialiste imprègne les travaux de ces assises : « Les lins de l'oeuvre de civilisation accomplie par la France dans les colonies ECARTENT TOUTE

IDÉE D'AUTONOMIE, TOUTE POSSIBILITÉ D'ÉVOLUTTON HORS DU BLOC FRANÇAIS, DE L'EMPIRE:

LA CONSTTTUTION EVEN1UELLE, MÊME LOINTAINE DE "SELF GOVERNMENTS » DANS LES COLONIES EST À ÉCARTER » ( I ).


      En cette même année 1944 est fondé, en Côte-d'Ivoire, zone la plus riche de l'AOF. le Syndicat agricole africain, animé notamment par Félix Houphouët-Boigny. Il pennet de soustraire 20 000 planteurs au travail forcé, les manoeuvres recevant 20 F par jour au lieu des 3,5 F versés par les colons

européens. Le gouverneur Latrille, bienveillant à l'égard du syndicat, est rappelé.


      L'issue de la Seconde Guerre mondiale précipite et approfondit un mouvement d'émancipation dont les maîtres de l'empire croient pouvoir maitriser les étapes en recourant à la répression

(massacre de Séif en Algérie en mai1945).


      A l'Assemblée constituante élue en novembre 1945, les vingt députés africains représentant désonnais les Territoires d'Outre-Mer (TOM) contribuent à accélérer le rythme des réfonnes :

abolition de l'indigénat, liberté d'association, de réunion, de presse, suppression du travail· forcé (dite loi Houphouët-Boigny qui la rapporte le 23 mars 1946) et reconnaissance du titre de citoyen à tous les ressortissants des TOM (2) sont l'objet de lois adoptées entre mars et septembre 1946.


      Bien sûr, leur application se heurte à l'action souvent conjuguée de l'administration coloniale et des colons et commerçants. Mais face à ces mesures d'intégration politique et économique, les

aspirations sont diverses sur le continent africain, reflets de situations historiques

ditferentes : si la revendication d'égalité des droits domine en AEF (3), les «élites» de l'AOF préfèrent l'association à l'assimilation. 


      Au Cameroun et au Togo, territoires sous tutelle des Nations unies et administrés pour leur partie orientale par la France depuis la fin de la Première Guerre mondiale, s'affinne une volonté

d'indépendance.


       Dirigeant syndical dés 1945, puis fondateur en 1948 de l'Union des populations du Cameroun (UPC), Ruben Um Nyobè dit le « Mbopol » (l'avocat) plaidera à trois reprises à New York la cause de l'indépendance et de la réunification du Cameroun devant la Commission de tutelle de l'Onu. 

      Dirigeant du Comité de l'unitè togolaise (CUT), Sylvanus Olympio, président en décembre 1946 de la première Assemblée représentative togolaise, se rendra pour la première fois à l'Onu en 1947 pour y défendre les mêmes objectifs.


      A Madagascar, la reconquête de l'indépendance est à l'ordre du jour ; en effet, l'Etat malgache a été annexé par la · France en 1896, sa dernière souveraine Ranavalona III étant condamnée à l'exil. Les députés élus au Parlement français fondent en février 1946 le Mouvement démocratique de rénovation malgache (MDRM) et demandent dès le 9 avril au Palais Bourbon de

reconnaître Madagascar comme Etat libre et indépendant au sein de l'Union française, la tendance la plus radicale du MDRM prônant l'indépendance totale. 


      L'enthousiasme suscité par la loi supprimant le travail forcé inquiète les colons qui réunissent, du 30 juillet au 2 août 1946, les « Etats généraux de la colonisation » auxquels les députés africains

répondent en septembre par le Manifeste du Rassemblement démocratique africain (RDA) qui, tout en dénonçant le MRP, réaffinne une volonté « d'union librement consentie des populations

d'Afrique et du peuple de France».


      A Bamako, du 18 au 21 octobre 1946 se tient le Congrès fondateur du RDA, fedération de partis présente dans onze territoires et dont le comité de coordination est présidé par Houphouët-

Boigny. Rejet de « la tendance assimilatrice » de la Constitution française nouvellement élaborée et attachement à « une union librement consentie fondée sur l'égalité des droits et des

devoirs» sont les conclusions d'un congrès qui soulève l'hostilité déclarée du MRP et celle plus voilée de la SFIO. 


      En dépit des entraves de l'administration coloniale, le RDA gagne des sièges aux élections du 10 novembre 1946. Jusqu'au 18 octobre 1950, les élus du RDA s'apparentent au groupe communiste (qui compte 167 députés contre 153 au MRP et 103 à la SFIO). Le PCF est la première force politique de France · mais sa mise à l'écart du pouvoir va de pair avec une répression accrue du RDA dont l'implantation est impressionnante : un million d'adhérents dés 1948.


      Un climat révolutionnaire.


      Luttes syndicales et politiques jalonnent la fin des années 40 et le début des années 50 créant souvent un climat révolutionnaire.


      A Madagascar, l'attaque du camp de Maromanga, le 29 mars 194 7, marque le début de l'insurrection malgache. Il faudra 80 000 morts et dix-huit mois aux troupes coloniales pour écraser le

mouvement. 


      Plus de cinquante morts, des centaines de blessés, 5 000 détenus résument

l'histoire du RDA en Côte-d'Ivoire en 49-50. L'arrestation à Dimbokro d'un de ses responsables, Samba Ambroise, sera à l'origine d'un rassemblement de 4 000 personnes, le 30 janvier 1950. Ce jour-là, pendant la dispersion, des colons et commerçants tirent sur la foule faisant une quinzaine de victimes.


      Les luttes syndicales gagnent en ampleur à l'image des grèves de décembre 1945 en AOF, de celle des cheminots du Dakar-Niger du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948 (4) et des grèves de septembre à novembre 1953 en Guinée pour l'application du Code du travail. Le syndicalisme africain se dégage peu à peu de la triple tutelle métropolitaine (CGT, CGT-FO et CFTC) qui aboutira en janvier 1957 à la création de l'Union générale des travailleurs d'Afrique noire (UGTAN) qui se veut une centrale

unitaire.


Le temps des « arrangements »


      Au plan politique, la répression qui frappe le RDA tant en AOF qu'en AEF, l'intervention de l'administration dans les élections entraînent un recul électoral du RDA et l'émergence des Indépendants <l'outre-mer (IOM) dont Senghor, soucieux de se ditferencier des partis métropolitains. Ils préconisent une République fedérale maintenant des liens très étroits entre la métropole et

Outre-mer. 

      Après son désapparentement d'avec le PCF, le RDA regagne le terrain perdu en se rapprochant des partis rivaux et en pratiquant un recentrage qui le conduit à exclure en juillet 19 5 5 sa section camerounaise, l'UPC, qui a engagé deux mois plus tôt la lutte armée pour l'indépendance et la réunification et (( s 'est placée en dehors du cadre qui régit le RDA "· à savoir l'Union française.


      Ce glissement va renforcer de nouveau le poids du RDA et permet à Houphouët-Boigny d'entrer au gouvernement français en 1956 tandis qu'est promulguée la Loi-Cadre du 23 juin

1956, dite loi Defferre qui accorde aux TOM une semi-autonomie interne. 


      Ce tournant de la politique coloniale française intervient moins de deux ans après la défaite de Dien-Bien-Phu en Asie du Sud-Est et le début de l'insurrection algérienne, et un an après le déclenchement de la lutte année au Cameroun (Ruben Um Nyobè mourra dans les maquis en septembre 1958). 


      1956 est aussi l'année de la reconnaissance de l'indépendance du Maroc dont le sultan Mohamed V avait été déposé par la France en 1953 et de Bourguiba faisant destituer le bey en 1957.

       Mis en place en 19 57 , les Assemblées territoriales et . Conseils de gouvernement - présidés par les gouverneurs français jusqu'en juillet 1958 - préfigurent en général les futurs exécutifs des Etats, à la proclamation des indépendances. 


     Le RDA hégémonique dans trois Conseils (Côte-d'Ivoire, Soudan - le Mali actuel - et Guinée) et dirigeant ceux de Haute-Volta, du Gabon el du Tchad déclare dans son congrès de 1957 que « l'indépendance des peuples est un droit inaliénable » mais « propose la réalisation et le renforcement d'une communauté franco~afiicaine démocratique et fraternelle basée sur l'égalité ».


     En 1958, il constitue un « front commun d'action africaine» avec le PRA (Parti du regroupement africain, favorable à l'indépendance),qui réunit la branche socialiste de Lamine Gueye et la Convention africaine de Senghor issue des IOM. Cette convergence des « élites politiques » africaines facilitera

les arrangements avec la métropole qui ne sont qu'un aspect de l'histoire de la décolonisation.


      Lors du référendum du 28 septembre 1958 suivant le retour au pouvoir du général de Gaulle, seule 

la Guinée de Sékou Touré dira « non » à la Constitution française de la y,m, République el à

la Communauté franco-africaine, proclamant son indépendance le 2 octobre.


      Le Cameroun - où l'UPC poumüvra la lutte armée jusqu'en 1960 - et le Togo, restés en dehors de la Communauté, accèdent les premiers à l'indépendance les I" janvier el 27 avril 1960, le deuxième semestre de cette année-là consacrant le transfert des compétences de la Communauté aux

nouvelles républiques africaines.



                                                                                                                                                                Guy LABERTIT

________________________

(1)En gros caractères dans le texte original.

(2) Jusqu'à cette date seuls les habitants de quatre communes de l'actuel -Sénégal (Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque) étaient considérés comme citoyens fiançais et élisaient depuis J 9 J 4 un député au Parlement fiançais.

( J) Le système électoral du double collège supprimé en AOF en 1946, sera maintenu en AEF et a Madagascar jusqu'en 1959.

(4) C'est Je sujet du roman de /'écrivain sénégalais Ousmane Sembene ( • Les Bouts

de bois de Dieu • ).

bottom of page